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 Les corps de la parole

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sajaa
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sajaa


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MessageSujet: Les corps de la parole   Les corps de la parole Icon_minitimeMer 22 Oct - 21:03

Les corps de la parole

Certes, la critique de la pensée au niveau même de son langage avait été inaugurée par Érasme. Le premier, il avait dénoncé la perversion fondamentale du christianisme par le vocabulaire ritualiste des syllogismes. Il appelait « silènes inverses » les réalités « judaïques » des cérémonies qui ne sont qu'extérieurement chrétiennes, et qui témoignent de la corruption de l'esprit par le langage monacal. « C'est apophtegme monacal », dira Rabelais pour évoquer la parole dégénérée par le rite, et le rationnel devenu parole compulsionnelle.

Chez Érasme, comme chez Rabelais, l'analyse du discours, notamment monacal, demeure donc féconde : le langage régénéré doit ramener au silène de l'esprit, et déboucher sur l'espérance théologique. Platon combattait déjà les sophistes – ces scolastiques de l'Antiquité – par une purification du langage. Érasme découvre précisément la décadence du christianisme, en son langage même, au moment où il formule pour la première fois la Philosophia Christi comme poétique ontologique, musique et don pro prophétique ; comme initiation aux mystères et géologie transformante. La critique du langage scolastique chez Rabelais se rattache donc au thème profond du « véritable silène » – donc à la théologie fondamentale comme philosophie des « corps » du langage.

Mais Rabelais va plus loin. Car toute la pédagogie de Gargantua renvoie à une profondeur anthropologique où ce sont les corps seuls qui feront question au coeur des divers systèmes d'enseignement.

Aussi longtemps en effet que Gargantua est éduqué « selon la discipline de ses précepteurs sophistes », il allie la paresse la plus profonde – sorte de léthargie mentale, répercutée au niveau du corps – avec la récitation intarissable du bréviaire ; alors, la lourdeur de la pensée s'inscrit dans une liturgie obsessionnelle de la paresse. Après avoir longtemps traîné au lit, l'élève passait à la chapelle. « Là, oyait vingt et six ou trente messes [...] et marmonnait toutes ces kyrielles et tant curieusement les épluchait qu'il n'en tombât un seul grain en terre. » Ponocrates va arracher le corps balourd de l'élève aux messes de la paresse scolastique. « Puis, branlait la pique, sacquait de l'épée à deux mains, de l’épée bâtarde, de l'espagnole, de la dague et du poignard orné, non orné, au bouclier, à la course, à la rondelle, etc. » Il s'agit de penser « de bas en mont, d'amont en val, devant, de côté, en arrière, comme les Parthes. »

Comme dans le Pantagruel, le langage de la guerre est donc venu au rendez-vous de la pensée et du langage. Le prologue du Tiers Livre reprendra le débat anthropologique de la pédagogie à un niveau initiatique plus profond : la philosophie de l'oisiveté et de l’activité s'inscrira encore au niveau du langage militaire – Diogène « barattera » inlassablement son tonneau, afin de ne pas sembler « oisif » parmi les Athéniens, qui préparaient alors aussi fébrilement la guerre que les Français du temps de Rabelais. L'oeuvre passera ensuite de l'exode à la prophétie – comme la Ratio verae theologiae – à l'endroit même où nous laisserons le lecteur poursuivre seul la traversée.

La cosmologie verbale de la guerre

Dans Gargantua, la guerre permet de mettre sur pied un massacre universel, c'est‑à‑dire un chaos absolu, providentiel et gigantal, en vue d'une démiurgie nouvelle. C'est le fruit, nous l'avons vu, d'un silence insuffisamment exploré. Les armées de Picrochole, envahissant les terres de Grandgousier, passent « sans épargner ni pauvre, ni riche, ni lieu sacré, ni profane ». Le carnage gigantal est la fleur suprême du retour au chaos originel. « C'était un désastre incomparable qu'ils faisaient. » Mais cette guerre est aussi le fruit du langage planétaire des humanistes. « À quoi répondit qu'ils égorgetassent ceux qui étaient portés par terre. À donc, laissant leur grande cape sur la treille au plus près, commencèrent égorgeter et achever ceux qu'ils avaient déjà meurtris. » Puisque ce massacre est opéré à grands coups de croix par frère Jean des Entommeures – moine exemplaire de Rabelais – , il est clair que notre géant efface tout et « recommence la création », selon le mot de Chateaubriand, saluant les « nautoniers de l'abîme ». Mais c'est évangéliquement que tout rentrera dans l'ordre.

Car Érasme avait montré, dans l'Enchiridion, que la croisade étendra seulement l'empire du pape ou de ses cardinaux ; que l'extension du pouvoir temporel réalise le « silène inverse » que caractérise la croi­sade ; que le Christ n'est pas mort pour que les prêtres deviennent les princes de la terre. Rabelais, fils fidèle d'un père qu'il dépasse en taille littéraire, déclare, par la boude de Grandgousier, que l' « exploit sera fait à moindre effusion de sang que possible ; et, si possible est, par engins plus expédients, cautèles et ruses de guerre, nous sauverons toutes les âmes et les enverrons joyeux à leurs domiciles ».

Mais Picrochole le colérique ne veut rien entendre. Le voilà parti à la conquête imaginaire de l'univers. Le recensement géographique de la planète, quel sommet de la parole guerrière ! Description fantastique des armées inexistantes de Picrochole, « conquêtant » toutes les nations, du ponant au septentrion ; toutes armes et toutes terres passées en revue ; une prodigieuse manoeuvre en tenaille, s'étendant de l'océan Arctique à la terre d'Afrique ; des guerriers surgissant de partout, armés et casqués de pied en cap, et par centaines de milliers ; des déserts traversés d'une seule chevauchée ; des pics escaladés et dévalés ; la faim et la soif terrassées autant que les ennemis en tous lieux ; et la guerre conduisant à se reposer enfin chez soi ; la liesse et l'humour se rencontrant en un crescendo de la folie ; le langage de l'engrangement poussé à l'épopée du rire : non, le rire n'est plus le rire, le rire est devenu chair et sang de l'écriture.

Chaque chapitre de Rabelais organise un nouvel amalgame gigantal du réel avec le fantastique. Mais l’ésotérique commence de paraître. Ainsi de la description de la manière dont Gargantua mangea en salade six pèlerins. Ce petit récit méticuleux et parfait domine, aujourd'hui encore, les problèmes de l'exégèse sacrée, où il s'agit toujours de savoir comment la théologie sera vraiment exégétique et l'exégèse vraiment spirituelle ; donc, comment interpréter, au sens symbolique et plénier, des événements historiques scientifiquement garantis.

La construction proprement littéraire – donc surréaliste – de l'épisode illustre l'univers des miroirs successifs où se réfléchissent sans fin des figures. Rabelais décrit d'abord ce qui arriva réellement aux pèlerins dans la bouche de Gargantua. Le récit comporte un tel luxe de détails, tous si extraordinairement précis et irréfutables, que l'on ne saurait rêver d'exactitude historique plus microscopiquement démontrée et plus incomparable que celle-là. Puis le pèlerin Lasdaller (las d'aller!) montre que toute cette aventure avait été dûment prédite par David : et un psaume de David, cité selon la Vulgate, s'applique en effet point par point et mot pour mot au récit historique ‑ on applaudit pareillement à ce deuxième exploit incomparable de l'exactitude. Rabelais a donc rédigé froidement le récit historique avec le texte de David sur sa table, comme Dieu le Père raconte les guerres dans Bossuet avec le livre du destin sous les yeux. L'exactitude est construite d'avance en décalque du signifiant, et le signifiant est donne par le signe en toute intelligibilité humaine. Les pèlerins interprètent les signes au niveau de leurs déboires, comme les nations. Mais si toute intelligibilité est de l'ordre du signe en toute interprétation de l'histoire, à quel niveau le réel historique deviendra‑t‑il vraiment signifiant en son exactitude ? Faut‑il abaisser le signifiant au niveau de la salade, ou élever la salade au psaume ? Comment sortir du réfléchi? Le miroir du langage serait‑il tautologique ? Ici la « pédagogie transcendantale » de Rabelais le mystagogue commence de poser la question des niveaux anthropologiques de l’interprétation. Question centrale qui va se déployer tout au long de l'oeuvre, et dès le chapitre suivant, où l’on retrouve aussitôt les « corps » du langage.

C'est d'une pédagogie de l'éveil et du sommeil qu'il s'agit au plus secret de l'anthropologie rabelaisienne du langage : mais les thèmes de l'éveil et du sommeil renvoient à la dialectique socratique de la réminiscence et de l'oubli, ultime symbolique du silène, qui resurgira dans la métaphysique de Heidegger.

Comment faut‑il donc appliquer l'Évangile de l'Éveil ? Frère Jean étant resté suspendu par les oreilles à un arbre, ses compagnons se mettent à discourir entre eux sur son cas, le comparant à Absalon, lequel resta pris par la chevelure. Le moine les apostrophe de la sorte : « Vous me semblez les prêcheurs décrétalistes, qui disent que quiconque voira son prochain en danger de mort, il le doit, sous peine d'excommunication trisulce, plutôt admonester de soi confesser et mettre en état de grâce que de lui aider. »
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